Ce qui suit constitue l'ébauche descriptive d'un autre monde dont nous souhaitons l'avènement aussitôt que possible, un monde où la vie serait bonne. Elle est mise en ligne au fur à mesure de son écriture. C'est un ensemble de propositions toutes déjà bien documentées, et depuis fort longtemps pour certaines, pour lesquelles nous devrions nous demander si le temps n'est pas venu de les mettre en débat démocratique.
Les mots soulignés dans le texte (hyperlien) renvoient sur un texte à part qui approfondit la notion portée par le mot souligné.
La vie bonne
Un projet à la mesure de l'humain
Si la réponse à la question du sens de la vie peut grandement varier suivant les individus, il semblerait que nous puissions nous accorder sur le fait que notre passage sur terre n'ait pas vocation à être pénible, et que si certains vivent ou ont vécu péniblement alors que d'autres non, c'est d'abord que les premiers sont ou étaient dominés par les seconds. Mais pas seulement, pour ce qui concerne notre passé récent jusqu'à maintenant. Notre imaginaire rationaliste occidental (être efficace comme une machine), notre désir forcené de nous enrichir pour accéder à la consommation individuelle sans limites viennent renforcer désormais cette pénibilité. Nous voici seuls et frustrés, chacun d'entre nous en guerre contre tous les autres dans une société en voie de désintégration, à la poursuite de désirs de plus en plus inaccessibles. Là n'est pas notre destin. Nous sommes des êtres sociaux depuis la nuit des temps, sans que les bouleversements immenses de la « civilisation » y compris industrielle n'y aient rien changé, et nos besoins et désirs fondamentaux sont d'une simplicité déconcertante en comparaison de ceux produits par nos esprits contaminés par la religion du progrès.
A quoi aspirons-nous donc (en grande majorité) ? A vivre tranquillement en harmonie avec nos voisins et collègues de travail, simplement, pour peu que la sécurité matérielle nous soit assurée, satisfaits de plaisirs simples et abordables. A vivre avant la mort, en somme, et ne pas nous contenter d'exister.
Que les objecteurs à ce constat simplissime qui souhaiteraient revendiquer une autre ambition, plus sophistiquée, se demandent dans quelle mesure elle est leur propre ambition, et non une ambition étrangère, instillée chaque jour par le modèle dominant, pour faire fonctionner l'organisation économique.
Nous allons changer tout cela ensemble, faire cesser la domination et revoir nos valeurs, nous organiser une vie moins complexe et plus heureuse, toutes choses qui pourraient aussi nous procurer du sens.
Pour débuter, il y a la question de la démocratie véritable qui nous semble être une condition nécessaire - bien qu'insuffisante – à la réalisation d'une vie bonne. Comme nous l'avons écrit ailleurs sur ce site, les intérêts des dirigeants politiques en cheville avec les élites économiques divergent de ceux du peuple, état de fait très ancien, mais particulièrement visible de nos jours et qu'il nous faut faire cesser. Il en résulte en effet, que nombre de problèmes qui pèsent sur notre société, - dont une grande partie est le fruit de l'action dirigeante elle-même - ne sont pas traités, et qu'il ne nous reste d'autre solution que de nous en charger nous-mêmes. Outre le fait que nous serons mieux servi ainsi que le dit le dicton millénaire, nous aurons désormais l'immense avantage de ne plus avoir à vilipender nos dirigeants. Nous pourrons cependant le faire collectivement envers nous-même si cela nous amuse.
L'expérience de gouvernement démocratique de l'Athènes antique ainsi que toutes les expériences plus récentes d'utilisation de processus impliquant la participation du peuple, constituent un abondant matériel à utiliser pour créer des institutions conformes à nos besoins. C'est à nous, le peuple, de construire ce qui nous convient en ayant confiance dans notre capacité à le faire. Cette construction pourrait prendre un certain temps et fonctionner plus ou moins bien dans ses débuts. Notre monde d'après sera celui du réapprentissage de notre capacité à laisser du temps au temps, - ce que n'est pas une solution clé en main -, ainsi qu'à ne pas rechercher l’efficacité mécanique en toutes choses.
Voici donc quelques procédures qui pourraient servir de fondation à l’établissement d'une nouvelle organisation politique réellement démocratique en remplacement de notre système épuisé qui a bien mérité sa retraite.
En premier lieu il y a l’établissement de l'usage du tirage au sort à grande échelle à tous les niveaux hiérarchiques de l'organisation politique, en précisant tout de suite que le tiré au sort n'a jamais l'obligation d’accepter la charge pour laquelle il a été tiré. Dans le cadre d'une démocratie générale, développée plus bas dans le texte, le tirage au sort verrait son usage étendu à l'ensemble de la société, en particulier dans le monde du travail.
Le tirage au sort a des vertus d'impartialité instaurant l'égalité (chacun à la même chance que son voisin d'être sollicité pour exercer une charge publique), et de sérénité (ni vainqueurs, ni vaincus, car la compétition électorale est neutralisée, ce qui permet au passage la récupération des sommes considérables dépensées par l'état pour les campagnes)
Associé à des mandats de courte durée (ce qui évite les dérives liées à la détention d'un pouvoir sur une longue durée dans une même fonction), il permet la participation aux affaires publiques du plus grand nombre, une participation que nous pourrions encore augmenter par la multiplication des charges publiques (nouvelles charges ou charges précédemment tenues par des fonctionnaires et transférées aux citoyens). Cette implication des citoyens est primordiale en démocratie véritable. Elle serait favorisée par tous les moyens, tant du côté gouvernant (assumant une charge publique) que du côté gouverné, pour nous aider à nous rapprocher de notre condition d'être social, mise à mal par la valorisation récente de l'hyper-individu, pour nous aider à reconstruire notre société.
Cette rotation rapide des charges postule la compétence de tous les citoyens à traiter des affaires communes, une compétence qui augmente avec l'intérêt d'être en charge, d'être investi d'une responsabilité. Les directions collégiales (plusieurs personnes assument une même charge publique) dilue le risque résiduel d'incompétence.
Le tirage au sort, utilisé dans un objectif égalitaire, montre aussi un certain nombre d'inconvénients, essentiellement considérés comme tels par la caste dominante élargie. C'est en effet un outil de remise en cause du pouvoir établi soutenu par la pratique élective, et partant, d'accession du peuple à son autonomie.
Tout ceci est présenté en détail dans ce document
Si l'on s'en tient au sens du mot démocratie – le gouvernement du peuple -, chaque citoyen peut prendre part, s'il le désire, aux décisions relatives aux affaires publiques. C'est la démocratie directe ou radicale. Elle perd de cette radicalité si la représentation subsiste - un mandataire vote les décisions sous contrôle plus ou moins lâche de ses mandants -. La question se pose de savoir s'il faut faire subsister une représentation.
Nous pouvons répondre « oui » au moins pour deux raisons :
- Celle de vouloir, pour commencer, des institutions à mi-chemin entre notre existant et la véritable démocratie. Le tirage au sort des représentants serait néanmoins un changement considérable puisqu'il retirerait le pouvoir des mains de la caste dirigeante pour le confier à une sorte de peuple en miniature.
- Celle de considérer trop lourde pour l'instant, l'organisation du fonctionnement d'une démocratie directe à une échelle géographique importante. Dans les municipalités, c'est naturellement la démocratie directe qui devrait s'imposer sans transition particulière, en fractionnant au besoin les vastes cités. L'objectif serait de renforcer le pouvoir municipal par rapport à l'omnipotence étatique. Lire sur cette question le projet de municipalisme libertaire de Murray Bookchin, rédigée par janet Biehl Ces deux raisons seraient celles d'une volonté d'expérimenter des changements de pratiques importants, d'en faire le bilan le moment venu, pour décider d'aller éventuellement plus avant.
Nous pouvons aussi répondre « non », pour favoriser l'implication maximale, conscient qu'une vie bonne vient aussi du sentiment d'appartenance à la société dans la laquelle on vit, ce que procure la participation politique.
Ce serait probablement une organisation assez complexe pour faire fonctionner une démocratie directe à vaste échelle géographique, mais cela ne doit pas nous arrêter au regard du principe d'implication la plus large possible.
Cette démocratie véritable instaurée, celle de l'égalité politique, nous l'utiliserons pour construire collectivement le monde qui nous semblera être bon pour nous, un monde propice au développement d'une vie bonne. Ce monde devrait être, avant toute chose, égalitaire. Nous entendons ici non plus seulement l'égalité politique, mais bien l'égalité économique et sociale - ou quelquechose s'en approchant -, expression d'une démocratie générale, d'une démocratie étendue à tous les compartiments de notre société. Les inégalités sont en effet à la source d'une multitude de nos maux - et des plus lourds, comme la délinquance ou notre mauvaise santé psychique et mentale -, et conditionnent particulièrement notre sentiment de bien-être. A grands traits, et gardant à l'esprit que définir une vie bonne serait un projet collectif, ce pourrait être une société construite autour :
- D'un rapport respectueux à notre environnement naturel, conscient que sa protection et son équilibre sont les conditions de notre qualité de vie, pour ne rien dire de notre survie. (Nous supposons la question écologique, pollution et ressources, identifiée par le peuple comme se situant en amont de tout projet de société, puisqu'elle conditionne la vie même de celle-ci)
- D'une simplicité matérielle volontaire, refusant l’accumulation de biens, puisque loin de procurer le bien-être, elle finit précocement par l'entamer. Qualité plutôt que quantité, durabilité, réparation, ré-usage, recyclage, économie et sobriété dans la consommation (y compris d'énergie) guideraient nos rapports aux objets et aux ressources. L’obsolescence programmée y serait déclarée interdite. Cette sobriété heureuse constituerait notre adaptation à la décroissance matérielle intense que l'humanité devra subir avec l'epuisement des énergies fossiles.
- D'un rapport au temps dévalorisant la vitesse - et l’immédiateté - qui nous asservit en nous donnant l’illusion de nous libérer. La lenteur, pour «prendre le temps de vivre » et nous faire découvrir ce que la vitesse occulte, serait au contraire valorisée.
- D'une spiritualité renouvelée où l’activité de l’esprit serait valorisée ainsi que le savoir, non uniquement pour une utilisation finale professionnelle, mais pour sa valeur propre.
- D'une relation au travail qui fait de celui-ci une activité plaisante, ce qui sous-tend un rééquilibrage de la place de la machine dans la société ainsi qu'un abandon du modèle d'organisation militaire de l'entreprise. Le travail manuel, artisanal, créatif serait ainsi revalorisé. Les rythmes de travail destructeurs de lien social seraient abolis (dimanche, nuit, fractionnement)
- De rapports humains équilibrés entre le collectif et l’individuel dans une société où le bien commun et l’intérêt général seraient des valeurs vivantes, une société dans laquelle la compétition serait dévalorisée au profit de l’émulation et la coopération.
- D'une économie absolument subordonnée à l’humain et non l’inverse, où les échanges non-marchands seraient magnifiés, la gratuité largement répandue, l'argent confiné à son caractère d'outil, les libertés économiques encadrées dans une optique de transition vers une économie participaliste décrite plus bas. L'entreprise autogérée, y aurait une vocation sociale et non de profit.
- D'une approche distanciée par rapport aux bienfaits de la technique et de ses valeurs telle que la rationalité et l’efficacité.
- D'une éducation qui postulerait que la mission de l'école serait avant toutes choses d'éduquer, et non de former au métier, c'est-à-dire de faire de nos enfants des êtres pensants imprégnés de valeurs humanistes, ayant développé un solide esprit critique. L'école serait d'abord le lieu d'apprentissage du vivre ensemble, ensuite celui de la transmission du savoir.
La « vie bonne » serait donc s'organiser pour tendre vers un certain degré d'insouciance, - puisque notre passage sur terre n'a sûrement pas vocation à être difficile-, en décomplexifiant - sauf les processus démocratiques - pour rendre le monde plus léger.
La démocratie générale
Dans les civilisations primitives n'existait qu'un type social. Elles étaient donc égalitaires. Quand une différenciation plus ou moins contrainte s'opéra, en fait une spécialisation des tâches quotidiennes, une hiérarchie s'établit dans le même temps, reflétant le pouvoir plus ou moins grand que procurait la spécialisation. Depuis cette époque, la grande affaire de l'humanité, son projet sans cesse en échec, a été de faire cesser les effets de cette hiérarchie, c'est à dire la domination des uns sur les autres qu'elle engendrait. Des milliers d'années après cette bifurcation désastreuse, nous en sommes toujours là. Pire, notre civilisation occidentale moderne, dont le projet initial était l’émancipation de l'homme n'a fait que renforcer cette hiérarchisation dominatrice en poursuivant son délire rationaliste. Nous disons que ce projet, le seul qui vaille en réalité, est à réactiver sans délai. Nous l'avions en effet quelque peu oublié depuis quelques décennies, pleins des promesses compensatrices de bonheur matériel qui n'ont finalement pas abouti.
Les forces qui s'y opposent, apparemment très puissantes, sont en fait négligeables si le peuple souhaite vraiment sa liberté. Mettons à profit le chaos présent, signe des multiples limites que notre civilisation atteint pour modifier la trajectoire de notre paquebot en perdition. Construisons notre monde d'après, un monde libre où la vie sera bonne.
XXX
A venir, le reste du projet démocratique "La vie bonne", projet de démocratie générale, pour que la société tout entière devienne démocratique.
Nous y aborderons l'organisation du travail et son partage, la hiérarchie des salaires, le mérite et le partage des richesses, le revenu universel...