Petit retour sur une constituante élue
Nous avons vu sur la page d'information de base quel biais de représentation introduirait l'élection (y compris à la proportionnelle intégrale) dans la formation d'une assemblée constituante : un concentré de notables, professionnels de la politique, au lieu d'un mini-peuple. D'aucuns disent alors que corriger le biais politique s'obtiendrait en limitant les candidatures aux citoyens vierges de passé politique et/ou militant. Sans doute, mais c'est insuffisant, car le biais de la position sociale n'est pas corrigé. Qui seraient les candidats en définitive ? Non plus des notables présentés par des partis, mais probablement une grande majorité d'individus de haute à très haute position sociale en rapport avec leur niveau de culture et d'études, le reste étant constitué des quelques citoyens moins privilégiés ayant estimé à juste titre qu'ils auraient les compétences pour mener à bien cette mission publique. Il est bien établi par ailleurs que les notables drainent non seulement les voix de leur milieu social, mais aussi celles des milieux moins favorisés qui les pensent plus capables que leurs pairs pour les représenter. On se retrouve ainsi avec une majorité de candidats notables dont les chances d'être élus sont beaucoup plus importantes que celles des quelques candidats non-notables.
Le tirage au sort annule tous ces biais avec aisance et produit un échantillon représentatif du peuple, un minipublic.
Avec le tirage au sort on ne vote plus pour un programme, porté par un parti
En effet, et c'est une pratique assez différente, un peu déstabilisante, qui donne plutôt l'impression d'aller contre la démocratie, puisque que notre avis n'est même plus requis sur l'orientation politique générale. Supposons que l'assemblée nationale soit tirée au sort. On sait, les probabilités nous l'ont appris, qu'elle ressemblera au peuple dans sa diversité y compris politique, car le tirage au sort pour ce dernier domaine, la couleur politique, est équivalent à l'élection à la proportionnelle intégrale (le nombre de représentants est strictement proportionnel aux voix obtenues). Quel que soient nos préférences politiques, il y aura dans ce mini-peuple des représentants.es qui partageront les mêmes préférences et qui défendront nos idées sans même que nous les ayons élu pour pour cela. Ils. elles le feront en conscience, et non pour se conformer à la consigne d'un parti, puisque leur existence politique ne serait plus liée à ce parti.
On voit bien ici le blocage tout symbolique et foncièrement humain, qui cherche à maintenir l'illusion d'une relation de confiance instaurée entre un candidat (dont on connaît le visage et le nom, rien de plus) et soi-même, relation le plus souvent déçue. Accepter le tirage au sort, c'est placer sa confiance dans un groupe d'inconnus (aussi inconnus que nos candidats) qui grâce à la méthode utilisée pour leur sélection, à toutes les chances de satisfaire le plus grand nombre.
Les élus vont-ils nous aider à établir le tirage au sort à grande échelle en politique ?
Il y a tout lieu de croire que non et l'on peut même penser sans risque de se tromper qu'ils seront parfaitement unanimes pour décider de mettre en œuvre toutes les entraves possibles et imaginables à l'avènement d'un tel système. Un bon sens animal en somme, comme le décrit la plaisanterie suivante :« Quel est la dinde qui proposerait d'avancer le repas de Noël ? »
Lorsqu'en 2006, Ségolène Royal proposa la « surveillance populaire » de l'action des responsables politiques, par une reddition de comptes à intervalles réguliers à des jurys citoyens tirés au sort, la réaction, toutes familles politiques confondues, fut des plus violente. Il fut fait référence à Mao, Pol Pot, Le Pen qui pourtant lui aussi désapprouvait. On accusa la mesure d’ntretenir la défiance envers nos dévoués représentants.tes, de faire disparaître la politique, d'affaiblir la capacité de gouverner, de faire décliner le militantisme, et bien sûr de favoriser la montée du populisme, l’épouvantail de service. Tout ce tremblement pour une question de contrôle, somme toute assez légitime. On peut dès lors facilement imaginer quelle serait la réception du tirage au sort en tant que procédure démocratique centrale, puisque oui, il ferait disparaître la classe politique et les partis de masse.
Nos élus qui ont le monopole constitutionnel de la définition de l'intérêt général (ce qui est bon pour nous, en tant que peuple) tenterons de nous convaincre que leur intérêt particulier (celui de durer) se confond avec l'intérêt du peuple, sans probablement s'apercevoir du conflit d'intérêt massif que génère la situation et qui de fait jette un sérieux doute sur l'honnêteté de leurs dires.